Cultures et écritures mineures

Cultures et écritures mineures de « l’exception » dans les Amériques (Christine Dualé et Anne Garrait-Bourrier)

Homi Bhabha définit l’hybridité culturelle comme un processus « [donnant] naissance à quelque chose de différent, quelque chose de  neuf, que l’on ne peut reconnaître, un nouveau terrain de négociation du sens et de la représentation » (Bhabha, « Le tiers-espace », Multitudes, 2006). En se construisant dans un « entre-deux » (Bhabha, The Location of Culture, 1994), l’identité et « l’exception » se constituent à la fois dans un espace d’imitations et de créations, un « tiers espace », où l’identité fonctionne comme un lieu de négociations. Ce tiers espace est la condition préalable à toute articulation de la différence culturelle.
L’exception est définie par l’espace séparé (l’étymologie étant « retirer »), isolé, sacré, où elle s' »ex »-prime et ces représentations peuvent alors relever du profane mais aussi du sacré. Nous pensons ici plus spécifiquement aux danses rituelles, aux vêtements qui permettent d’exprimer une revendication (le chapeau pour les femmes de la Renaissance de Harlem, ou encore les costumes excentriques pour les zip coons par exemple), aux maquillages et tatouages (tribaux), aux déguisements et costumes de scène des minstrel shows pendant la ségrégation.  Si d’aventure ces expressions intègrent l’espace du « commun », elles deviennent alors la mode et quittent l’exception : or en quittant le  » contre culturel » (cet à-côté de la culture) et le tiers-espace ces expressions quittent aussi, dans une certaine mesure,  le champ du mineur pendant qu’elles permettent la revendication d’une identité artistique et la réappropriation de l’identité d’un groupe.

Si cet en dehors qu’est l' »ex » peut, in fine, être identifié comme le mineur deleuzien, on s’intéressera donc ici aux spécificités des manifestations artistiques des groupes ou personnes situées dans cet espace tiers de l' »ex » ou de l’‘en’-dehors » : en-dehors de la mode, du canon (qu’il soit littéraire, artistique ou autre), du mainstream, de l’hégémonique. Comme le souligne Homi Bhabha, « les cultures ne se constituent que dans cette altérité interne à leur propre activité de production de symboles, qui en fait des structures décentrées — et c’est à travers ce déplacement, cette liminalité, que s’ouvre la possibilité d’articuler des pratiques et des priorités culturelles différentes et même incommensurables » (Bhabha, op.cit., 2006).

Dans le champ du mineur – qui est déjà un espace hors champ, hors hégémonie – il est des représentations artistiques qui traduisent visuellement l’exception ou encore l’en-dehors de l’esthétique et qui ne peuvent être comprises du « commun » des mortels (qui est bien à comprendre comme l’inverse de l’exception). Ces représentations artistiques requièrent alors un décodage qui mène au concept d’« hybridité » et permet de dépasser les binarités culturelles et créé un nouvel espace de « décolonisation », ce que Bhabha décrit encore dans Nation and Narration  comme « un ‘troisième espace’ à partir duquel de nouvelles positions peuvent émerger. » (Bhabha, 1990, Nation and Narration 211).

Cet atelier propose donc d’aborder l’expression de l' »ex »-ceptionnel – en tant que représentation du mineur (au sens deleuzien) et considérera « l’ex-ceptionnel » comme un Sujet « en dehors », en  « ex »-terieur des normes, l’Autre dans sa différence. Nous nous interrogerons sur les tensions qui existent entre contre-culture et culture mainstream dans le champ des expressions mineures et réfléchirons aux glissements entre normes et marges opérés par les cultures du tiers-espace.
– Peut-on penser que le Jazz – dans sa modernité et l’exceptionnalité historique de ses sources – est aujourd’hui un art rattaché à la marge « des opprimés « ? Le jazz est-il même un art de la marge ?
– Peut-on dire aussi que certaines artistes noires américaines des « roaring twenties » ont pu sortir du mineur par leur talent et leur destin exceptionnels ? Leur talent d’ex-ception leur a-t-il permis de s’affirmer dans la culture dominante et d’être acceptées ?
– Peut-on encore dire que le Pop Art – dans ce qu’il dénonçait – est un art de l’exception ?
– Peut-on soutenir que la réappropriation par les communautés hippies des « folklores » amérindiens a contribué à « sauver » la culture indienne de l’oubli en la vulgarisant et donc en la faisant sortir de  l’exceptionnalité du sacré ? Ou l’a-t-elle au contraire placée en situation de danger ?

Cet atelier propose de s’inscrire dans une perspective culturelle, littéraire et artistique américaine afin de réfléchir aux pratiques culturelles et artistiques d’acteurs et d’actrices de la marge et de montrer leur cheminement vers « l’exception » et « l’exceptionnel » pour se situer au-delà des normes établies et proposer leurs propres transgressions stylistiques, culturelles ou encore identitaires.  En nous appuyant sur l’exception culturelle, artistique, littéraire, etc. nous tenterons de montrer, dans la lignée d’Homi Bhabha qui occupe une position liminale, comment cet espace de créations produit une ulture différente, voire « exceptionnelle » dans un esprit d’altérité.

Les propositions en français ou en anglais (format .doc), comprenant un titre, un résumé n’excédant pas 200 mots, une courte biographie (150 mots) et 5 mots-clés, sont à envoyer avant le 1 octobre 2018 conjointement à : Christine Dualé : christine.duale@ut-capitole.fr ET Anne Garrait-Bourrier : anne.garrait-bourrier@uca.fr