Doctoriales

Amélie Derôme, Marion Coste et Louisa Perreau. (college.doctorants@saesfrance.org)

 

L’expression selon laquelle l’exception confirme la règle est proverbiale. Elle semble pourtant esquisser une mise en abîme de la question de l’exception. La règle, en matière d’exception, semble bien être de considérer qu’elle renforce la norme à laquelle elle se rapporte. L’étymologie latine de l’exception, exceptare, « retirer », désigne un processus d’exclusion. L’exception renvoie ainsi à un phénomène de mise à l’écart et d’isolement. Ce qui est exceptionnel appartient à ce que la règle relègue à l’extérieur d’elle-même, aux frontières de la cité où s’appliquent les normes. Son caractère marginal paraît la rapprocher de l’illégalité. L’exception s’en distingue pourtant : loin d’être repoussée vers le domaine du hors-la-loi, elle se trouve englobée, absorbée par la règle à laquelle elle se rapporte. Exception et règles paraissent ainsi entretenir un rapport ténu de réciprocité : il n’y a ni règles sans exception, ni exception sans règles. L’exception paraît une forme d’irrégularité normalisée, de singularité acceptée. Elle s’apparente ainsi à l’extraordinaire aussi bien qu’à l’anomalie.

L’exception disciplinaire

Les thèses s’inscrivent bien souvent au sein de disciplines délimitées et préétablies, comprenant chacune leurs règles et pratiques propres. La question actuelle de l’enchevêtrement des disciplines soulève un certain nombre d’interrogations quant à l’exception. Le choix du préfixe (interdisciplinaire, transdisciplinaire, pluridisciplinaire), désignant tantôt l’interaction, l’interpénétration ou le chevauchement, évoque les rapports de l’exception du traitement du sujet de thèse et des règles des disciplines qu’il met en jeu.

Comment trouver l’équilibre entre suivi des normes et recours aux règles externes ? Une exception émerge-t-elle de la fusion ou de l’interaction de différentes disciplines ? Comment se positionner lorsque son objet de recherche est inédit ou peu abordé par les disciplines universitaires existantes ?

Les grandes figures de proue universitaires tendent également à s’éloigner des pratiques et des règles de leur discipline. Elles font doublement figure d’exception : elles risquent en effet l’exclusion avant de devenir les références de leur domaine (songeons notamment aux travaux de Michel Foucault ou de George Steiner). La capacité à dévier de la norme demeure, par ailleurs, une marque de la souveraineté : « est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle » (Carl Schmitt).

Comment procéder lorsqu’on se trouve en désaccord avec les pratiques qui régissent notre discipline ? Peut-on, par ailleurs, viser l’exceptionnel pour une thèse qu’il s’agit de préparer dans un nombre restreint d’années ? En quoi consiste la liberté de penser du jeune chercheur et dans quelle mesure est-il souverain de ses décisions ?

L’exception comme moteur de la méthodologie scientifique :

La problématisation de la thèse engage le jeune chercheur à ne pas reculer devant les aspérités, les exceptions, qui jaillissent au cours de ses recherches. La démarche scientifique paraît étroitement liée au traitement de l’exception, de ce qui déroge à la règle. L’attention portée à l’exception permet ainsi de débusquer les obstacles épistémologiques : « une pensée anxieuse

se méfie des identités plus ou moins apparentes, et réclame sans cesse plus de précision, ipso facto plus d’occasions de distinguer » (Gaston Bachelard).

Comment affronter les exceptions de son corpus ? Comment éviter les généralisations et les préjugés ?

Le doctorant, au fil des recherches, se voit assailli par un flot de connaissances toujours plus précises et nombreuses. La spécialisation engrange une quantité d’informations innombrable, devant laquelle on risque de se sentir démuni.

Comment se prémunir de la tentation de tout connaître de son sujet « sans exception » ? Quand arrêter ses recherches et passer à la rédaction ? Comment délimiter son corpus ?

Les conditions de travail exceptionnelles du doctorant

Si l’exception relève de la mise à l’écart, elle paraît pouvoir caractériser les conditions de travail de certains doctorants en sciences humaines et sociales. Les jeunes chercheurs qui doivent combiner travail de recherche et emploi ou qui ne possèdent pas de financement pour la thèse peuvent en effet ressentir une forme d’isolement.

Comment briser le sentiment d’isolement lié au travail solitaire de la recherche ? Quelle place y a-t-il pour le travail d’équipe pendant le doctorat ?

L’exception consiste enfin à conférer des droits ordinairement refusés. Dans ce cadre, elle a trait à la question du privilège et, dans une certaine mesure, à la rareté des financements des thèses de sciences humaines et sociales. Au sein des sciences dites « dures », la norme est d’être financé, en lettres et humanités, le financement relève de l’exception.

Comment obtenir un financement pour son doctorat ? Quelles dérogations sont possibles pour les doctorants qui doivent assurer un emploi en surplus de leurs recherches universitaires ?

Les propositions de 300 mots maximum, accompagnées d’une courte notice biblio-biographique, rédigées en français ou en anglais, devront être envoyées à l’adresse suivante (college.doctorants@saesfrance.org) avant le 30 novembre 2018.

The saying according to which the exception proves the rule has acquired a proverbial status. This statement might prove able to question the nature of exception itself. The rule, when dealing with exceptions, does seem to regard them as a means of reinforcing the norm they are concerned with. The latin etymology of exception, exceptare, “to remove”, implies a process of exclusion. Exceptions thus refer to a phenomenon of ousting and isolation. They are indeed to be found beyond the boundaries of rules and behind the borders of the polis where norms are applied. Their borderline aspect could equate to unlawfulness, yet, the two concepts differ. Far from being relegated towards the realm of outlawry, exceptions are encompassed by the rule which they are concerned with. Exceptions and rules are thus interwoven in a close relation of reciprocity: rules cannot exist without exceptions, nor can exceptions exist without rules.

Exceptions hence appear as a form of normalised lawfulness and of accepted singularity, relating both to the extraordinary and to the abnormal.

Disciplinary exceptions:

PhD studies are often inscribed within clearly-defined and pre-established disciplines that all possess their own rules and common practises. The current topic of the mingling of disciplines raises a few questions regarding exceptions. The choice of prefixes (interdisciplinary, transdisciplinary, pluridisciplinary), hinting towards interaction, interpenetration or overlapping, mirrors the ways in which exceptional research topics relate to the common rules of fields.

How can one find a balance between respecting norms and resorting to external rules? Do exceptions arise from the fusion or the interaction of different research fields? How to position oneself when one’s research topic is unprecedented or little known to existing academic disciplines?

Furthermore, renowned academics tend to step away from their disciplines’ practices and rules. Their exceptional quality seems twofold. Indeed, they risk exclusion before becoming paramount to their domains (one may think of Michel Foucault’s or George Steiner’s careers). Their ability to stray from the norm also happens to remain a sign of sovereignty: “is sovereign the person who decides of exceptional situations” (Carl Schmitt).

What can be done when one disagrees with the practices which rule one’s field? May one hope for an exceptional thesis dissertation when it has to be prepared in an ever-decreasing number of years? How can one define young researchers’ freedom of thought and how far can they be considered as sovereign over the decisions that they make?

Exceptions as a key for scientific methodology:

Problematising a thesis compels young researchers to confront the asperities and exceptions which emerge during their research. Scientific method seems to be tightly connected with the question of exceptions and of what contravenes to rules. The study of exceptions can thus help to identify epistemological obstacles: “an anxious manner of thinking is wary of more or less apparent identities and constantly calls for more precision, ipso facto for more occasions of distinguishing” (Gaston Bachelard).

How to confront the exceptions in one’s corpus? How to avoid generalisations and bias?

PhD students are assailed by an ever-growing stream of information and knowledge. Specialisation implies the storage of innumerable amounts of data which can seem overwhelming at times.

How to remain guarded against any temptation of knowing everything regarding one’s subject? When to stop researching and when to start writing? How can one define one’s corpus?

The exceptional working conditions of PhD students:

If exceptions equate to exclusion, they can sometimes seem able to evoke the working conditions of certain humanities PhD students. Young researchers which have to combine their

research with fulltime jobs or which do not have any funding for their thesis can indeed feel a little isolated.

How can one feel less isolated during one’s thesis? Is there any room for team work during PhD studies?

Exceptions finally consist in conferring ordinarily denied rights. In this sense, they explore the question of privileges and may also refer to the scarcity of funds for humanities PhDs. Within “hard sciences”, the norm remains to be funded whereas funding remains exceptional in humanities.

How can one gain funding for one’s PhD? Which derogations can be granted to PhD students which have to work during their doctoral studies?

Submissions of 300 words at most and short biobibliographical notices, written in English or in French, will be sent to the following address (college.doctorants@saesfrance.org) before November 30th, 2018.