SERCIA
Société d’Études et de Recherches sur le Cinéma Anglophone (SERCIA) / Etudes filmiques
Resp. Christophe Gelly (cgelly@yahoo.fr) et Isabelle Schmitt-Pitiot (isabelle.schmitt@u-bourgogne.fr)
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En matière de films et de cinéma, il est difficile de ne pas associer d’emblée l’idée d’exception à des films singuliers, tel The Night of the Hunter (1956), seul film réalisé par Charles Laughton, ou à des films qui longtemps portèrent la marque d’une sorte de malédiction, comme le projet d’adaptation du Quichotte par Orson Welles ou par Terry Gilliam. La première piste qui s’ouvre à nous est donc celle de l’analyse de films caractérisés par leur nature unique. Cependant, cette singularité contenue dans la notion d’exception invite, comme le texte de cadrage général du congrès le rappelle, à rapporter l’exception à un contexte global de pratique et de production artistique, duquel le film exceptionnel se démarquerait. On ne peut ici manquer de penser dans cette perspective à la prééminence du modèle hollywoodien classique, en particulier dans le domaine de la narration où s’imposent les règles de transparence du récit (Bourget, Bellour). Cette transparence s’accordait originellement à l’expression d’un désir de cohésion sociale et à une téléologie très américaine, comme les films de Frank Capra en témoignent — malgré leur critique caustique du système social ils se concluent bien par un happy ending. Dès lors, l’exception pourra s’envisager comme concernant des films qui relèvent soit d’une vision plus ouvertement critique sur le plan social, soit d’une démarche visant à briser l’illusion référentielle pour mettre en scène leur propre fabrication, comme le Sherlock Junior de Buster Keaton (1924). Cette valeur d’exception de la pratique réflexive est à relativiser avec le développement d’une véritable veine auto-référentielle (Stam) qui a institutionnalisé en partie cette pratique. La dichotomie entre cinéma hollywoodien et cinéma indépendant reste cependant une voie d’approche essentielle pour la thématique proposée.
Au-delà de l’esthétique hollywoodienne, l’exception renvoie également à des questions de définition générique et à l’évolution que le genre présuppose (Todorov, Stam). Dans la filmographie d’un acteur ou d’un cinéaste, certains films difficilement classables peuvent apparaître comme des exceptions ou des entorses aux lois du genre. Ainsi du comique proposant une œuvre grave, tel Woody Allen avec Interiors (1978) ou, cas peut-être plus rare, d’un réalisateur dit « sérieux » s’essayant à la comédie. On pourra s’interroger sur la réception et la fortune critique de ces œuvres exceptionnelles, mais au-delà, on pourra étudier comment la notion d’exception remet en cause les classifications, catégories et genres. Forme, genre, mais également appartenance nationale pourront ainsi être appréhendées comme déterminants de l’exception revendiquée par telle ou telle œuvre cinématographique, puisque l’on sait que l’identité du cinéma britannique, par exemple, s’est construite en partie, comme celle du cinéma européen par ailleurs, en opposition avec le modèle hollywoodien — dans le champ global de la production anglo-saxonne ce cinéma-là se veut et se proclame bien une exception culturelle également.
On ne s’interdira pas d’explorer un versant plus théorique de la thématique, qui ouvre sur une acception intermédiale du terme d’exception. Le cinéma serait le médium qui, parce qu’il combine un grand nombre de médiums différents, et parce qu’il s’adresse à tous les sens ou presque (Elsaesser), ferait exception dans le champ artistique. Cet exceptionnalisme médiatique se dessine également à travers le rôle jouée par les innovations techniques qui ont permis l’intégration toujours plus avancée de ces médiums (Gaudreault et Marion) — comme pour le son (Chion) et l’évolution des techniques de restitution sonores (Dolby, THX…). Ces innovations définissent le cinéma comme médium et comme combinaison de médiums ; elles sont si séduisantes qu’elles sont très vites adoptées, au point que ce sont les retours à la norme de jadis qui font exception, comme le Silent Movie de Mel Brooks en 1976. On peut penser aussi au choix délibéré de Tarantino de tourner The Hateful Eight (2015) sur pellicule et en 70mm à l’ère du numérique et du visionnage sur tablette. Dans ce contexte nouveau d’un cinéma digital, les enjeux financiers sont plus que jamais déterminants, et la notion d’hapax est régulièrement convoquée pour justifier l’intérêt du dernier blockbuster. Cette surenchère technique et visuelle n’échappe pas cependant à la contradiction puisque ce caractère exceptionnel des films à succès est censé leur garantir une popularité générale, et une « reconnaissance » unanime. Le discours formel et le discours commercial sur l’exception dans ce domaine ne coïncident donc pas ; l’exceptionnalisme esthétique étant le plus souvent incompatible avec l’exigence de reconnaissance immédiate par le public.
Dans le contexte contemporain et dans le cadre d’une telle problématique, il nous semble difficile de nous en tenir aux seuls films destinés au grand écran, et les propositions d’étude d’autres productions audio-visuelles seront les bienvenues : on pense, par exemple, dans le domaine de la production et de la distribution, mais aussi de la réception, aux films produits par les plateformes de streaming comme Netflix. La notion d’exception culturelle nous parait ainsi cruciale, permettant à la fois de dégager certaines particularités des « produits » filmiques et plus largement audio-visuels et d’étudier en quoi la conception de la nature de ces produits diffère selon les pays de production.
Merci d’envoyer vos propositions (en anglais ou en français), résumé de 300 mots maximum et courte notice bio-bibliographique, avant le 25 novembre 2018, à Christophe Gelly (cgelly@yahoo.fr) et à Isabelle Schmitt-Pitiot (isabelle.schmitt@u-bourgogne.fr).
NB. A l’issue de l’atelier, les articles en anglais pourront être soumis pour publication dans la revue en ligne Film Journal, soit dans les hors-thèmes, soit dans un numéro consacré au thème.
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
Altman, Rick, Film Genre, London, BFI Institute, 1999
Bellour, Raymond, La Querelle des Dispositifs. Cinéma, Installations, Expositions, Paris, POL, 2012
Bourget, Jean-Loup, Hollywood, la norme et la marge — Genres, esthétiques et influences du cinéma hollywoodien (1930-1960), Paris, Colin, 1998
Chion, Michel, Le Son au Cinéma, Paris, Cahiers du Cinéma, 1985
Dyer, Richard, Stars, London, British Film Institute, 1998 [1979]
Elsaesser, Thomas and Malte Hagener, Film Theory: An Introduction Through the Senses, London, Routledge, 2010
Gaudreault André et Philippe Marion, La fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique, Paris, Armand Colin, 2013
Stam, Robert, Reflexivity in Film and Literature—From Don Quixote to Jean-Luc Godard, Michigan UNI Research Press, 1985
Todorov, Tzvetan, Poétique de la prose, chapitre 4 “Typologie du roman policier”, Paris, Editions du Seuil, 1971
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In the field of film/cinema studies, the notion of “exception” calls to mind quite unique works such as The Night of the Hunter (1956), the one film actor Charles Laughton ever directed, or films that struggled for years, like Orson Welles’ or Terry Gilliam’s adaptations of Don Quixote. Our first axis could thus be the analysis of films characterized by their uniqueness. However, the singularity involved in the exceptional invites us, as suggested in the guidelines for the conference, to consider the notion in the general context of artistic practice and production from (and maybe against) which exceptional films would stand out. Here classic Hollywood productions prevail, especially as models setting the rules for transparent narration (Bourget, Bellour). Originally, that transparency was attuned to an American desire for social cohesion and teleology, as seen in Frank Capra’s films, still resolving their sharp social criticism in inevitable happy endings. In that context, films can be deemed exceptional when they express a more radical form of social criticism or break the referential illusion by foregrounding their own production, like Buster Keaton’s Sherlock Junior (1924). The exceptional value of reflexive works should be relativized, as a growing self-referential trend has partly trivialized the practice (Stam). However, the dichotomy between mainstream and independent productions remains an essential perspective on the theme.
Beyond Hollywood aesthetics, the notion of exception also addresses film genres and the evolution of their conventions (Todorov, Stam). In an actor’s or director’s filmography, some atypical productions may appear as exceptions to or infringements of generic rules or spectator assumptions, as when a comedy director makes a “serious” film, like Woody Allen with Interiors (1978). Studying the reception of such works should lead into discussions on how the notion of exception in fact challenges classifications, categories and genres. Form and genre as well as nationality can thus be viewed as part and parcel of the exceptional nature of a given film, since national cinemas such as British cinema or, for that matter, other European cinemas, have partly built their identities on their dialectic opposition to the Hollywood model — inside the vast galaxy of English-speaking films, national cinemas also claim their cultural exception.
From a more theoretical perspective, one can also explore the exceptional nature of film and cinema as essentially inter-media productions. In other words, cinema would be an exception among the arts in that it combines several different media and addresses almost all the senses (Elsaesser). That exceptional status is also reflected in the part played by technical advances resulting in an always better integration of different media (Gaudreault and Marion), as with sound (Chion) and the evolution of sound reproduction techniques (Dolby, THX…). Such advances define cinema as both one medium and a combination of media and become the norm so fast that films keeping or returning to older techniques become exceptions in their turn, like Mel Brooks’ Silent Movie in 1976. One can also think of Tarantino’s deliberate choice of shooting The Hateful Eight (2015) on film and in a 70mm format when more and more viewers watch on their tablets or smartphones. In the new context of digital cinema, financial stakes are more essential than ever, and the hapax criterion is regularly highlighted to justify the money invested in the latest blockbuster. However, escalating special effects and technical feats result in a paradox since the exceptional nature of such films is supposed to be the key to their universal success. Here, formal and commercial definitions do not coincide, and what is deemed “exceptional’ in aesthetic terms rarely concurs with immediate and widespread popularity.
In the contemporary context and with such a theme, we find it difficult to restrict ourselves to feature films and we welcome studies dealing with other types of audio-visual productions, especially television productions or works produced for media services providers like Netflix. Eventually, the notion of “cultural exception” in the fields of production and distribution also seems crucial because it reflects important variations in the status of films/products in different countries and cultures.
NB. Papers in English may be submitted for online publication in Film Journal, either as an occasional paper or in an issue on the theme.